Loi sur le secret des affaires : impact sur les contrats

La loi n° 2018-670 du 30 juillet 2018 relative à la protection du secret des affaires transpose la directive (UE) 2016/943 du parlement européen et du conseil du 8 juin 2016 sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulguées (secret des affaires) contre l’obtention, l’utilisation et la divulgation illicites 1. Cet article met en lumière les dispositions de cette loi et ses impacts sur la rédaction des contrats commerciaux.

Rappel du contexte

L’enjeu de la directive et de ses transpositions dans le droit national des pays membres de l’Union européenne est de protéger les entreprises contre le vol de leurs secrets industriels, ou leur divulgation à des concurrents ou au grand public, en permettant aux entreprises victimes d’une violation du secret des affaires d’obtenir les mesures nécessaires à la cessation des actes de violation et la réparation de leur préjudice. L’objectif est d’assurer aux entreprises françaises et européennes la défense de leur patrimoine immatériel et a fortiori leur compétitivité à l’échelle mondiale dans un contexte économique
hyper-connecté favorisant notamment les fuites d’information, l’espionnage industriel ou encore la cybercriminalité.

Les règles pénales et de propriété intellectuelle ne permettant pas de protéger efficacement ce secret des affaires, un régime spécifique de protection est devenu nécessaire pour préserver l’innovation et les informations stratégiques. Critiqué par certains y voyant un activisme des lobbyistes en faveur d’une loi permettant de parer à de nouveaux scandales tels que « luxleaks » ou les « panamas papers », le législateur s’est efforcé de prévenir et punir les menaces pesant sur les entreprises tout en respectant l’équilibre entre intérêts publics et privés.

Le nouveau cadre juridique de la protection du secret des affaires

La nouvelle loi crée ainsi un cadre légal au secret des affaires à l’instar de la réglemen tation française sur le secret professionnel, le secret d’Etat ou le secret défense.

Ainsi, la loi du 30 juillet 2018 modifie notamment le code de commerce en ajoutant au livre Ier, un titre V relatif à la protection du secret des affaires. Son nouvel article L.151-1 y définit de façon large l’information protégée comme celle qui « n’est pas, en elle-même ou dans la configuration et l’assemblage exacts de ses éléments, généralement connue ou aisément accessible pour les personnes familières de ce type d’informations en raison de leur secteur d’activité. Elle revêt une valeur commerciale, effective ou potentielle, du fait de son caractère secret. Elle fait l’objet de la part de son détenteur légitime de mesures de protection raisonnables, compte tenu des circonstances, pour en conserver le caractère secret ». La loi rend illégale l’obtention, la divulgation et l’utilisation d’une information, par une personne qui n’en ait pas le détenteur légitime 2, qui répond aux conditions suivantes :

• l’obtention d’un secret est illicite lorsqu’elle est réalisée sans le consentement de son détenteur légitime et qu’elle résulte d’un accès non autorisé à tout document, objet, matériau, substance ou fichier numérique qui contient le secret ou dont il peut être déduit, ou bien d’une appropriation ou d’une copie non autorisée de ces éléments, de tout autre comportement considéré, compte tenu des circonstances, comme déloyal et contraire aux usages en matière commerciale 3 ;
• la loi prévoit également que l’utilisation ou la divulgation d’un secret des affaires est illicite lorsqu’elle est réalisée sans le consentement de son détenteur légitime par une personne qui a obtenu le secret dans les conditions mentionnées ci-avant ou qui agit en violation d’une obligation de ne pas divulguer le secret ou de limiter son utilisation 4.

Le secret des affaires permettra désormais à toute entreprise victime d’une violation répondant à ces critères de saisir en cas d’urgence la juridiction sur requête ou en référé, afin qu’elle ordonne des mesures provisoires et conservatoires. Dans les autres cas, la juridiction saisie pourra sans préjudice de l’octroi de dommages et intérêts, prescrire, y compris sous astreinte, toute mesure proportionnée de nature à empêcher ou à faire cesser une telle atteinte 5 et si elle l’estime nécessaire ordonner la publication de la condamnation prononcée.

Les règles procédurales au sein de ce régime de protection innovent au stade de la discussion des parties sur l’opportunité de mettre en place des mesures conservatoires ; le juge pourra prendre seul et hors du prétoire connaissance des pièces qui lui seront soumises afin de préserver le secret des affaires.

Ensuite, le juge pourra prendre plusieurs décisions en vue de conserver le secret au
cours de la procédure au fond. Il pourra ainsi aménager la communication contradictoire des documents entre les parties, organiser les débats et le prononcé de la décision en chambre du conseil et adapter la motivation de la décision, ainsi que ses modalités de publication aux nécessités que requiert le secret 7.

Pour éviter tout abus de la part des entreprises, il est prévu qu’elles pourront être condamnées au paiement d’une amende civile en raison du caractère abusif ou dilatoire de la procédure engagée 6.

Enfin, afin de préserver un équilibre entre les intérêts privés des entreprises et l’exercice des libertés fondamentales par les citoyens et les intérêts publics, la loi prévoit des dérogations. Ainsi, la protection du secret des affaires ne pourra être invoquée lorsque, à des fins d’enquête, de contrôle, d’autorisation ou de sanction des autorités judiciaires ou administratives la loi en exige la production.

Il en est de même, à l’encontre des journaliste d’investigation, des lanceurs d’alerte de bonne foi ayant pour but de protéger l’intérêt général en dénonçant une activité
illégale, une faute ou un comportement répréhensible, s’il s’agit de faire cesser ou
empêcher toute menace ou atteintes à un intérêt légitime reconnu ou encore lorsque
le secret a été obtenu dans le cadre du droit à l’information et à la consultation des salariés ou de leurs représentants lorsque cette divulgation est nécessaire à cet exercice.

L’impact de la protection du secret des affaires sur le droit des contrats

Avant l’adoption de cette loi, pour se prémunir face au risque de divulgation d’un secret, les entreprises prenaient le soin d’insérer, dans les contrats les liant non seulement à leurs employés mais également à tous leurs partenaires, des clauses de confidentialité. La sanction d’un manquement à une telle clause était l’engagement de la responsabilité contractuelle du contrevenant.

Néanmoins, les clauses de confidentialité comme celle de non-concurrence ne
pouvaient être perpétuelles. La précaution emportait d’insérer également une clause prévoyant les modes de restitution des informations et la nécessité d’une attestation que la personne ou l’entreprise ne se trouvait plus en possession d’informations ou de tous éléments couverts par le secret. Le secret n’était pas le principe et seul un aménagement contractuel permettait d’obtenir réparation d’une violation du secret des affaires.
La nouvelle loi dispose dorénavant que la confidentialité issue de ce secret perdure sans limite de temps et ne cesse que si les informations en cause ont entre temps cessé de constituer un secret ou sont devenues aisément accessibles 9.

Pour pouvoir bénéficier de cette confidentialité légale, l’entreprise doit toutefois répondre à une exigence posée par la loi ; elle devra avoir mis en place des « mesures de protection raisonnable » comme notamment des outils destinés à sécuriser le secret des affaires. Au regard de cette exigence, le droit des contrats trouve ici sa pleine application puisqu’il sera, à cet égard, conseillé de continuer d’insérer dans les contrats de travail des clauses de confidentialité et éventuellement des clauses de non-concurrence. Afin de protéger au maximum le secret des affaires, il sera pareillement conseillé de faire signer aux actionnaires un accord de confidentialité.
Il conviendra également de travailler avec l’ensemble des partenaires (interne ou externe) de l’entreprise à la procédure couverte par le secret dans un cadre contractuel préétabli prévoyant notamment des clauses de confidentialité pour interdire la divulgation et l’usage non autorisé d’informations confidentielles communiquées à l’occasion d’une négociation ou d’un contrat. En ce sens, il faudrait notamment des clauses de non-concurrence, des clauses dans les contrats de licence imposant au licencié de mettre en œuvre tous les moyens matériels de protection du secret et également des clauses d’audit visant à assurer une transparence optimale entre les parties au contrat dans les situations où des informations essentielles seraient détenues par une seule d’entre elles.

Ainsi, deux conséquences peuvent être tirées de l’instauration de ce régime légal de protection du secret des affaires au regard du droit des contrats. Tout d’abord, au regard de l’obligation de mettre en place des mesures raisonnables de protection pour l’entreprise et de la caractérisation d’une divulgation illicite en cas de violation d’une obligation de ne pas divulguer le secret. Le droit des contrats permettra aux entreprises de se préconstituer un moyen de preuve de la divulgation illicite dès lors que leur auteur était lié avec elles par une clause contractuelle de confidentialité.
Ensuite, ce nouveau régime renforcera la force des conventions. En effet, en cas de violation, elles étaient déjà couvertes par une action en responsabilité de droit commun, mais ces actions ne bénéficiaient d’aucune règle de procédure dérogatoire afin de préserver ledit secret. Désormais, les conventions bénéficieront du régime
spécial instauré par la loi du 30 juillet 2018 lors de l’utilisation ou la divulgation illicite d’un secret des affaires réalisée en violation d’une obligation de ne pas divulguer. On peut également noter, que l’instauration de cette législation incitera les entreprises à se tourner vers les juridictions de droit commun alors qu’elles se tournaient plus volontiers vers des procédures d’arbitrage qui leur permettaient de préserver le secret des affaires en cas de litige. Ainsi, les clauses d’arbitrage se feront-elles peut-être moins fréquentes en la matière.

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